Je serre mon oreiller entre mes dents et ma couverture entre mes jambes. Mon sang bat en soulevant la peau de mes cuisses.
Mon souffle se coupe. J’entends des bruits dans l’escalier. Quelqu’un vient pour me battre ou pour me faire l’amour. Soudain, j’ai peur que ce ne soit pas toi. J’ai peur d’avoir attrapé Alzheimer dans la nuit et donné rendez-vous à un amant que j’aurais déjà oublié. Ca commence à jouer du violoncelle dans mon ventre. Il y a des fleurs dans mes cheveux, elles tombent du lit, tombent sur le sol, je voudrais me rouler dedans et les mettre dans ma bouche. Je voudrais mourir pour deux. Et ce bruit incessant dans l’escalier, ces pas qui viennent vers moi, j’écarte déjà les jambes, je suis sale. Je veux que tu me dises encore que je suis mauvaise. Peignons les murs en un rouge de mauvais goût, et frappons nos corps contre ces murs pour les rendre aussi écarlates, jusqu'à ne plus distinguer notre chair dans le décor.
On ne peut rien contre le désir d'aimer. On peut refouler son propre désir, mais l'on ne peut rien contre le désir des autres. Même si tu viens pour me demander le divorce, je te ferai l’amour. Même si tu viens me dire que tu es mort dans l’après-midi, je te ferai l’amour. Même si le chien s’est pendu, je te ferai l’amour. Même si la mer se change en miettes de pain, je te ferai l’amour. J’enfoncerai mes poings dans les muscles tendus de ton dos. J’arracherai tes cheveux avec mes dents et j’en ferai une soupe pour les enfants, les enfants qui seront de toi ou d’un autre homme. Je voudrais les voir manger leurs boules de poil comme des chats et s’étouffer avec en buvant du chocolat au lait (le moins cher possible).
Des pièces de mon plafond s’effondrent sur mes jambes inertes, et tandis que mon lit s’enfonce dans le sol j’entends résonner dans le fond du jardin une sonate de Mozart. A la place des pièces de plafond manquantes, un tatoueur de quartier a plagié Léonard de Vinci en dessinant la Joconde sous sa peau. Je me dis que ma vie n’est pas super mais que je l’aime bien. Et moi je dis que ce sont des épinards et que j'aime pas ça, répond ma conscience. Tant pis si j’ai parfois les pieds dans l’eau et le foie dans le whisky. Je reste fidèle au liquide et aux fluides corporels. Le moment de l'échange de fluides corporels, c’est quand même le summum de l’intimité. Prenez le don du sang par exemple.
Mon amour, tu crois tout comprendre, ou alors tu ne comprends rien, ou alors les deux. Moi ça me rend folle, mais pas de toi. Je ne te vise pas vraiment, même quand je t’accuse, je suis juste déçue de nous au point de vouloir me faire prendre sans amour au milieu de mes erreurs et entre mes larmes, si tu arrives à t’y frayer un passage.
On ne s’est pas mis sur le bon bateau. Le notre est parti trop vite et ne nous a pas amenés à la bonne destination. Une fois débarqués sur ce quai inconnu, nous avons couru, couru, et la ligne d’arrivée ne m’a pas arrêtée. J’irai plus loin désormais, et dieu seul sait quel est l’homme qui me retiendra. Et si quelqu'un me retient, ce ne sera pas toi. On n’arrête pas la course d’une chienne avec un morceau de saucisse.
Dire que tu m’aimais. Vivre d’espoir fait vivre. Chaque déclaration d’amour de ta part creuse une entaille dans mon tapis volant. Je perds de l’altitude, moi qui rêvait de vivre une belle tragédie romantique, au bord d’une plage et sous la pluie. Alors qu'au bord de mer sous la pluie, le sable colle aux pieds, même le soleil devient collant, mais ça n’avait pas d’importance dans mes rêves. Et toi, mon petit garçon, tu ne rêvais pas de ça ? J'aurais voulu te connaître enfant pour m'épargner l'envie de te connaître plus tard.
Je sais, je sais, le fait que tu ne me dises pas oui ne signifie pas oui. Tu rêvais d’une princesse, puis tu as trouvé mon cul et tu l’as libéré.
Je calme mon ventre qui gonfle sur mon lit comme une pate à pain. J’aimerais que tu le repasses. Si tu le rends présentable, tu pourras le mettre sur ton dos pour aller au travail.
Ma tête expose dans un bad trip digne de ce nom, j’ai les tripes en compote, l’artère en marmelade, la glaire cervicale en terrine de lapin. J’aimerais m’asseoir sur le rebord de la fenêtre et me réveiller au fond d’un océan. Je te trouve assis dans l'escalier, intimidé par la maison trop grande, et je me sens comme amoureuse de ta préciosité nerveuse.
Je prends le pied que tu me tends et je donne un coup de pied aux communistes et aux prêtes pédophiles, et aux moniteurs d’auto-école, et à la guerre dans le monde. Allez, au feu, au feu les mères célibataires qui racontent leurs histoires de cul à leurs enfants, et la ménopause, et le foot à la télé. C’est pourtant tout ce qu’il me restait.
Y’a comme un pieux dans mon pieu. Comme un derrière qui prend les devants. Et moi sens dessus dessous, je retrouve l’essence de mes sens. Nos dessous n’ont plus de sens. J’attrape tes mains tremblantes et je crois que je ressens une overdose d’amour en couleur.
Mes draps violets finissent ecchymosés de croutes blanches. J’aime passer mes mains dessus quand je calcule l'hypoténuse d'un triangle carré.
Je manque de maturité pour écrire sur tout l’amour que l'on ne se donne pas. Soudainement, je comprends que c'est moi qui ne donne pas assez, et que tu es incapable de combler tous les vides en même temps, en l'occurrence ceux de mon coeur.
Je crois que tu es le genre de personne que l’on ne devrait pas aimer uniquement les soirs où l’on a trop bu. (Par contre, les autres jours, je n'ose pas).
Ce que j'ai pensé en t'écrivant alors que tu ne le mérites pas : Je voudrais que tu sois méchant pour t’aimer encore plus. Parce que la haine que je te voue actuellement m’oblige à te remplacer par ton clone idéal.
Le pas dans l’escalier est la métaphore de notre relation qui s’est arrêtée en chemin sans aller jusqu’au bout de son parcours. Toi tu restes planté là en hésitant à entrer dans ma chambre. Moi je t’attends sur mon lit en pleurant de ne pas savoir si je peux t’y faire une place.
Reviens vite.
PS : Si tu peux, pas trop tard.
"Non, ne dis rien, mon amour, reviens juste au matin
T'immiscer et félin sous les draps chauds de mon corps
Qui cherchera ta main, dehors, il fera mauve
Et ces éléphants roses reprendront leur chemin."
15 septembre, Benjamin Biolay